Aujourd’hui, Mystères et bonnes bouteilles va vous conter une histoire. L’univers du vin fourmille d’anecdotes historiques. On explique que Napoléon ne buvait que du Chambertin ou que la cuvée Cristal de chez Roederer a été créée à la demande du Tsar de Russie… Loin des grands personnages historiques, l’épopée que je relate aujourd’hui met en lumière les artisans du quotidien d’un grand vignoble : Condrieu. Au bord de la disparition en 1960, vignerons et passionnés ont su perpétuer la tradition et la faire évoluer au gré des modes et des crises1 pour assurer la renaissance du vignoble de Condrieu au cours des années 1970 et 1980. Récit :
L’histoire se passe dans la petite ville de Condrieu2, située à 40 kilomètres au Sud de Lyon sur la rive droite du Rhône. La ville est blottie entre le Rhône et les versants pentus du massif du Pilat. Dans cette région, on cultive la vigne depuis des siècles. Nous sommes en Côte du Rhône Septentrionale et les ceps sont plantés aussi bien en amont du fleuve (Côte-Rôtie) qu’en aval (Saint-Joseph, Hermitage).
Toutefois, dans les années 60, à Condrieu et dans ses environs, la viticulture est rarement l’unique source de revenus. La culture fruitière et le maraichage permettent aux paysans de se diversifier. Historiquement, c’est le cépage Viognier que l’on cultivait à Condrieu. Il produisait un vin blanc doux de grande qualité, mais il est peu à peu délaissé au profit d’autres cépages hybrides ou importés, plus faciles à cultiver mais produisant des vins médiocres et difficiles à vendre. Il est vrai que le Viognier est un cépage capricieux offrant des vendanges aux quantités très variables d’une année sur l’autre. Au fil des années, les vignes reculent. Les ronces et les figuiers sauvages prennent possession des anciennes terrasses. Dans le même temps, l’industrie pétro-chimique est en plein essor dans la région. Avec des salaires et des conditions de travail nettement meilleurs que dans la viticulture, l’industrie attire la main d’œuvre locale.
En 1967, la culture du Viognier ne représente plus qu’une dizaine d’hectares répartis entre une poignée de vignerons. Une dizaine d’années plus tard, la roue tourne à la faveur d'un changement de génération et les vignerons de la Vallée du Rhône souhaitent répondre à la nouvelle demande étrangère (et américaine en particulier) en produisant des vins puissants, aromatiques, de plus grande qualité. Il faut replanter les cépages locaux : Syrah, Roussanne, Marsanne… et Viognier.
Le renouveau de l’appellation Condrieu va être possible grâce à une poignée d’individus qui ont su perpétuer la tradition lorsque plus personne ne croyait en l’avenir du Viognier. Parmi eux nous pouvons citer la famille Vernay, qui a maintenu en culture la plus grande part du cépage (les ceps préservés vont servir de greffes pour les nouvelles parcelles) ; M. Claude Cuilleron, qui considérait son Condrieu comme le fleuron de sa gamme ; ou encore M. Gilbert Nicaise, ingénieur agronome, qui promut de manière ininterrompue le cépage auprès des autorités et des vignerons de la région. Dans son recueil sur l’épopée du Viognier3, il explique comment M. Caillet (vigneron retraité du château d’Ampuis), apprenait aux jeunes comment tailler et conduire ce cépage particulier.
Peu à peu, à force de travail, les arpents de vignes sont regagnés sur les ronces et les murets de pierre autrefois éboulés sont reconstruits. Le Condrieu est mis en bouteille et trouve son public. La qualité est au cœur des préoccupations. Les limites de l’aire d’appellation sont redéfinies afin de ne garder que les meilleures parcelles. En 1986, l’appellation est réduite de 125 hectares. La famille Vernay montre une fois de plus l’exemple et prend à son compte l’essentiel du déclassement. Le Condrieu est désormais armé pour nous séduire.
Sur la route des vacances, offrez-vous un détour de quelques heures. Prenez la sortie Vienne ou Ampuis sur l'autoroute A7 pour admirer le vignoble et juger de la qualité du Condrieu d'aujourd'hui. Pour vous mettre l'eau à la bouche, quelques adresses et commentaires de dégustation ci-dessous :
Condrieu 2016 - Jardin suspendu - Pierre-Jean Villa
Pour moi, il s'agit tout simplement du meilleur Condrieu dégusté jusqu’à présent. Fruit d’un assemblage de 2 terroirs situés à Chavanay et Condrieu (entre Chéry et Château Grillet), le vin possède une intensité et une énergie incomparable. Beaucoup d’élégance dans les arômes floraux et fruités. L’élevage est totalement intégré et la longueur en bouche est remarquable.
Derrière une robe or lumineuse, le nez est expressif et typiquement viognier : abricot, fleurs, agrumes. La bouche est large et avec du volume. Une bonne longueur accompagnée par des notes d'amandes.
Condrieu 2014 - Cuvée Patience - Christophe Pichon
Depuis son point bas dans les années 60, le vignoble de Condrieu a été multiplié par 10 (170 ha actuellement). Autrefois en danger, le cépage s’exporte en France et dans le monde.
Mystères et bonnes bouteilles, des conseils utiles avant tout…vous pouvez me dire : « A quoi bon connaitre cette histoire ? Pas besoin de savoir tout cela pour apprécier une bouteille de Condrieu ! ». C’est vrai, pour autant :
1Les vignobles français ont traversés de multiples crises : guerres (vignoble champenois ravagé à l’issu de la 1ère guerre mondiale), maladies (phylloxera dévastateur à la fin du XIXème) et accidents climatiques (gel à Cahors durant l’hiver 1956)
2L’appellation Condrieu est produite sur 7 communes : Condrieu, Chavanay, Saint-Michel sur Rhône, Vérin, Saint-Pierre de Bœuf, Malleval, Limony.
3Gilbert Nicaise, Le Viognier de Condrieu – Témoignage sur la renaissance culturale du cépage prestigieux et de l’AOC « Condrieu » - 1990
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